Verdissement et gentrification

Comment les initiatives de verdissement peuvent nuire Ă  ceux qu’elles tentent d’aider

La construction de nouveaux parcs, comme celui de Dickie-Moore sur Beaumont, a tendance Ă  faire augmenter les prix de l’immobilier Ă  proximitĂ©. Photo : Matias Brunet-Kirk – NEWSFIRST

Le manque d’espaces verts Ă  Parc-Extension devient un enjeu de plus en plus important pour les rĂ©sidents du quartier. Les dernières Ă©lections ont clairement dĂ©montrĂ© que le manque d’espaces verts Ă©tait au cĹ“ur des prĂ©occupations de nombreux Ă©lecteurs et des partis politiques, tant pour des raisons environnementales que sociales et Ă©conomiques.

Bien que bĂ©nĂ©fiques, certains chercheurs commencent Ă  souligner que certains efforts de verdissement peuvent Ă©galement avoir des effets nĂ©gatifs, affirmant qu’ils peuvent entraĂ®ner une augmentation des prix de l’immobilier tout en exacerbant les effets de l’embourgeoisement des quartiers et le dĂ©placement des rĂ©sidents Ă  faible revenu. 

Un groupe de chercheurs ont rĂ©cemment publiĂ© un rapport portant sur le programme de verdissement Vert le Nord de Ville en verts. Le rapport porte sur la façon dont ses activitĂ©s, payĂ©es par des fonds municipaux, contribuent Ă  une augmentation des prix de l’immobilier dans Parc-Extension et exacerbent les effets de l’embourgeoisement dans le quartier.

Comment le verdissement augmente les loyers

Alex Megelas est Ă©tudiant au doctorat en Ă©tudes pĂ©dagogiques Ă  l’UniversitĂ© McGill et est coordonnateur de programmes au Bureau de l’engagement communautaire de l’UniversitĂ© Concordia. Il travaille au sein d’un rĂ©seau de recherche communautaire dans Parc-Extension et est coauteur du rapport sur le verdissement dans le quartier. 

«Les amĂ©liorations apportĂ©es Ă  l’espace ne profiteront pas Ă  tout le monde de la mĂŞme façon», dit-il Ă  propos des initiatives de verdissement. Â«Elles profiteront surtout aux personnes qui sont susceptibles de rester dans ces communautĂ©s», a-t-il ajoutĂ©.

En plantant des arbres et en augmentant les espaces verts dans les zones urbaines, M. Megelas souligne que cela augmente Ă©galement l’attrait et la qualitĂ© de vie du quartier, ce qui entraĂ®ne aussi une hausse des prix de l’immobilier.

«Si vous ĂŞtes locataire de votre logement et que, tout Ă  coup, des arbres sont plantĂ©s et votre ruelle se voit verdir, le propriĂ©taire voit la valeur de son immeuble augmenter et dĂ©cide de vendre, quelqu’un peut l’acheter et vous Ă©vincer», explique Megelas.

Bien qu’offrir des espaces verts aux rĂ©sidents Ă  faible revenu puisse sembler bienveillant, il peut aussi les mener Ă  devoir dĂ©mĂ©nager dans des quartiers plus abordables. «Cette belle ruelle dans laquelle vos enfants jouaient, eh bien elle n’est plus lĂ  parce que vous avez dĂ» dĂ©mĂ©nager Ă  MontrĂ©al-Nord ou Ă  Saint-LĂ©onard», a-t-il poursuivi.

«Les amĂ©liorations apportĂ©es Ă  l’espace ne vont pas profiter Ă  tout le monde de la mĂŞme manière».

Vert le Nord

Le rapport se concentre sur les pratiques de Ville en vert et son programme Vert le Nord, affirmant que l’organisme a manquĂ© d’engagement communautaire et ne tient pas compte des effets de gentrification que le verdissement peut avoir sur Parc-Extension.

«Le processus par lequel le projet a Ă©tĂ© conçu et est en cours d’exĂ©cution ne rĂ©pond pas de manière adĂ©quate Ă  leurs promesses envers l’engagement communautaire», peut-on lire dans le rapport, qui affirme un manque de liens avec les organisateurs locaux et de rĂ©ciprocitĂ© et de transparence avec les rĂ©sidents.

Le rapport cite un organisateur communautaire anonyme qui a dĂ©clarĂ© que Â«Ville en vert voulait simplement valider son processus sans vraiment consulter d’autres organismes communautaires», et qu’il ne croyait pas que Â«ses intentions reflĂ©taient les besoins rĂ©els des rĂ©sidents.»

Les auteurs affirment Ă©galement que l’approche de Ville en vert reste très hiĂ©rarchisĂ©e, sans aucun mĂ©canisme pour aider Ă  la mise en Ĺ“uvre ou au financement des initiatives de verdissement communautaire. Â«Nous voyons des initiatives qui sont lĂ©gitimĂ©es par un impact environnemental positif, mais d’engagements relativement vagues», a expliquĂ© Megelas, soulignant qu’un plus large Ă©ventail de stratĂ©gies aurait un plus gros impact. 

Ville en vert n’a pas rĂ©pondu Ă  nos demandes de commentaires sur le sujet avant la date de publication. 

Une ruelle verte mise en Ĺ“uvre par des rĂ©sidents des rues Durocher et Querbes. Photo : Matias Brunet-Kirk – NEWSFIRST

Important pour les résidents

Le verdissement Ă©tait la prĂ©occupation numĂ©ro un du rĂ©sident Arnaud Lafortune le jour de l’Ă©lection. Il estime que le quartier a besoin de plus d’espaces verts et d’arbres, notant que les mois estivaux demeurent insupportablement chauds Ă  Parc-Extension. 

«C’est une question super importante, c’est vrai pour Parc-Extension comme pour Villeray», a dĂ©clarĂ© M. Lafortune devant le bureau de vote William-Hingston, ajoutant qu’ Â«il n’y a pas assez d’arbres».

C’est le point de vue d’une grande partie des rĂ©sidents du quartier, alors que les effets des Ă®lots de chaleur urbains et les initiatives de verdissement sont passĂ©s au premier plan du discours politique.

«Ce n’est pas seulement beau, mais c’est aussi important pour la qualitĂ© de l’air et la santĂ© mentale des gens», a expliquĂ© Lafortune, soulignant qu’il avait votĂ© pour le parti politique qui, selon lui, Ă©tait le plus sur de mettre en Ĺ“uvre le verdissement. Â«C’est plus qu’esthĂ©tique, c’est fonctionnel», a-t-il ajoutĂ©.

Plus de consultation 

M. Megelas reconnaĂ®t le dĂ©sir des mesures de verdissement parmi les rĂ©sidents et admet les effets positifs qu’elles peuvent avoir lorsqu’elles sont correctement mises en Ĺ“uvre. Mais M. Megelas a dĂ©clarĂ© que l’Ă©cologisation ne peut ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme un Ă©lĂ©ment purement positif, en particulier lorsqu’elle est mise en Ĺ“uvre avec une consultation minimale de la communautĂ©. 

«Il est clair qu’ils ne savaient pas grand-chose de la dynamique de l’organisation communautaire», a dĂ©clarĂ© M. Megelas, ajoutant qu’il avait remarquĂ© cette dynamique avec d’autres efforts dans de diffĂ©rents quartiers. Â«La mĂŞme chose s’est produite lorsque les gens ont dĂ©veloppĂ© le canal de Lachine», a-t-il ajoutĂ©.

Le groupe recommande plutĂ´t que des organismes comme Ville en vert incluent les rĂ©sidents et les organismes communautaires tout au long du processus de planification, tant par la consultation que par le recrutement de personnel. Cela permettrait d’adapter les initiatives de verdissement aux quartiers dans lesquels elles sont mises en Ĺ“uvre.

«Il aurait Ă©tĂ© agrĂ©able de voir Ville en vert embaucher des gens de Parc-Ex pour aider Ă  diriger cette initiative, plutĂ´t que juste des francophones blancs qui ne comprennent rien aux cultures locales que nous avons dans le quartier», explique M. Megelas.  

Ils recommandent Ă©galement de mettre en Ĺ“uvre des mesures plus variĂ©es pour attĂ©nuer l’effet des Ă®lots de chaleur dans le quartier, au lieu de simplement planter plus d’arbres. Il pourrait s’agir de construire davantage de stationnements souterrains, de rĂ©duire la circulation des poids lourds et de collaborer avec l’industrie lourde pour rĂ©duire les Ă©missions.

Carte montrant la diffĂ©rence de tempĂ©rature entre la ville de Mont-Royal et Parc-Extension. Source : DonnĂ©es compilĂ©es par la Ville de MontrĂ©al.Â